19.8.06

 

Signes...



Il a mis le tout petit livre dans l’enveloppe kraft et l’enveloppe dans la grande boite aux lettres, il a écrit un mot qui à la fin qui disait : « je pars un peu car je n’arrive pas à me poser, je ne veux pas te priver du texte de Dagerman plus longtemps, je reviens bientôt… ».

En lisant le mot, j’ai pensé que ce texte ne me manquait pas, que je lui avais prêté, que je pouvais attendre…
Puis, je l’ai ouvert à la dernière page, j’ai relu les lignes oubliées, j’ai souris en me disant que souvent les textes étaient arrivés ou revenus dans ma vie à des moments inespérés…
Et je me suis dit : « oui, je crois aux signes… ! »

(…)
"C’est la liberté qui vient de la capacité de posséder son propre élément. Le poisson possède le sien, de même que l’oiseau et que l’animal terrestre.
Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? Je suis obligé de répondre : nulle part.
Si je veux vivre libre, il faut pour l’instant que je le fasse à l’intérieur de ces formes.
Le monde est donc plus fort que moi. A son pouvoir je n’ai rien à opposer que moi-même – mais, d’un autre côté, c’est considérable.
Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance.
Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. Mais ma puissance ne connaîtra plus de bornes le jour où je n’aurai plus que mon silence pour défendre mon inviolabilité, car aucune hache ne peut avoir de prise sur le silence vivant.
Telle est ma seule consolation. Je sais que les rechutes dans le désespoir seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle de la libération me porte comme une aile vers un but qui me donne le vertige : une consolation qui soit plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie, c'est-à-dire une raison de vivre ».

STIG DAGERMAN. « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » Ed. Actes Sud

14.8.06

 

A quoi je joue avec moi ?


Ce texte a été écrit jeudi 10 août - il m'a laissée épuisée mais plus libre. J'ai hésité à le "poster" mais si je veux continuer à cheminer sur ce blog alors je dois vraiment regarder.
Depuis, je lui ai dit " ma vérité", et c'est avec le sourire que j'ai retrouvé le monde qui me manquait...

Puisqu’il faut bien un jour atteindre la page, être faite de cette énergie là, les événements d’hier ne font que confirmer ce que je sais déjà.

Pourquoi faut-il mettre des étiquettes sur les gens, les classer par catégories, au lieu de les laisser être eux mêmes dans leurs infinies incertitudes.

Nommer nous fait vivre et nous tue à la fois.

J’ai « essayé » d’être hétéro, dans ces habits, je me suis sentie à l’étroit, quelque chose qui ne me convenait pas. Je n’étais pas faite de ces réflexes là.
J’ai « essayé » d’être lesbienne, d’appartenir à cette « communauté » là mais je ne m’y retrouvais pas, là non plus ce n’était pas moi. Je n’étais pas faite pour ces réflexes là.

J’ai laissé passer les gens qui voulaient m’aimer, toujours dansante sur un pied…

Alors la bisexualité dans tout ça ? Ce n’est pas parce qu’elle a une mauvaise image que je ne m’y reconnais pas, il y a longtemps que cela ne m’importe pas.
Non, c’est autre chose.

Depuis Foucault nous savons que l’homosexuel est « une invention ».

Ainsi on a scindé le monde en 2, ça permet d’exercer le pouvoir… l’oppression.

Pourtant le monde n’est pas un univers binaire (comme hélas La Pensée en ce moment), il est vaste le monde…
C’est toujours la même réduction : « celui qui n’est pas avec moi est contre moi ».
Ne peut on pas admettre qu’il est différent, ne peut on pas le laisser se déployer en paix sans le briser.

Pour moi, il n’y a pas d’hétéro, d’homo, de bi, de trans… il y a des gens que j’aime, qui m’intéressent et d’autres que je ne peux pas aimer, qui ne m’intéressent pas, quelqu’ils soient.

L’orientation sexuelle est une partie de l’individu - elle existe au même titre que d’autres - elle ne le définit pas…
Mais le monde - la société - ne pense pas comme ça…
Pourtant, aussi, je suis bien obligée d’utiliser ces mots (ces « catégories » là), dire nous fait vivre et nous tue à la fois…

Alors…
Quand je marche dans la rue, pour les lesbiennes, je suis lesbienne, je le vois dans leur attitude, dans leur regard, et hélas dans leur rires aux terrasses des cafés - aussi et trop souvent parfois…
Cette incompréhension là…

Je crois à la culture et non pas à la nature…
En écrivant ces mots c’est à la violence symbolique de Bourdieu que je pense, je pense à l’incorporation de l’oppression jusqu’au principe de naturalisation…
Certaines personnes intègrent tellement l’oppression (y’a de quoi !) que cela en devient naturel (construction bien sûr) jusqu’à la reproduire sur les autres, leurs semblables…
Une de mes amies me disait y’a longtemps : « elles ont oubliés ou quoi… »
Revendiquer le droit à la différence et à l’indifférence pour soi et ne pas l’appliquer aux autres…

Dans le reste du monde je suis hétéro, on attends de moi des rêves que je n’ai pas et me voici ainsi réduite à cette vision hétérocentrée du monde qui fait qu’on a qu’un choix…
Comme si il était encore question de choix…

Leur dire qu’à mes yeux l’amour est du côté des femmes, ils ne comprendraient pas.
Leur dire que l’attirance physique est plus évidente pour le corps d’un homme, ils ne comprendraient pas.
L’émotion n’est jamais du même ordre mais elle est belle quelqu’elle soit…
Alors la bisexualité dans tout ça ?
Entendu un jour : « les bis ce sont les pires, je ne les aime pas ».

Le pire c’est peut-être moi…

Pendant des années, depuis l’enfance, j’ai marché avec cette torture dans la tête, je l’ai toujours mise de côté, balayée, ignorée…
J’ai marché, j’ai marché jusqu’à ce que mes jambes ne puissent plus me porter
J’ai marché mais c’était jusqu’à l’hôpital et ça je l’ignorais.
Je n’oublierai jamais le regard - terrible de jugement face à toute ma détresse - de l’interne aux urgences.

Pourquoi tout ça maintenant, parce que hier j’ai menti, j’ai dit que j’étais lesbienne (pour ne pas être discriminée) non pas que je ne veuille pas l’être - au contraire j’aurai préféré, ça aurait été plus simple d’appartenir à l’un ou l’autre côté, plus rassurant
Mais il faut bien en convenir, il n’y a pas de choix, il n’y a qu’une réalité…

Une fois de plus hier je n’ai fait que me perdre dans des définitions que je ne peux plus supporter. Dans un moi même que je n’arrive pas à trouver.

Aujourd’hui que la douleur physique s’estompe - et certaines nuits, pourtant je dois dire, qu’il m’est arrivé – chose terrifiante- de la regretter.
(La maladie était-elle là pour me rassurer ? Qui sait.)

Aujourd’hui, je sais de quelle douleur je suis faite depuis toute éternité, aujourd’hui cette douleur je finis par l’accepter, le premier pas pour la dépasser.
Oui la douleur, toute cette douleur en moi – que je ne mesurai pas, cette difficulté d’être au monde quand on ne s’y reconnaît pas, ce mal être permanent.
La peur ne dit jamais ce qu’elle est vraiment.
Ne pas avoir de soi de définition.

Dans un post précédent, j’ai dit que je partais à la rencontre de mes larmes...
Je les ai trouvées…

Alors les gens pourront continuer à définir à catégoriser à réduire à juger
Les bi ceci, les homos cela, les trans…
Que peuvent-ils comprendre sans cette douleur là.
Dans le film C.R.A.Z.Y le gamin se réveille la nuit et dit « non tout mais pas ça, pas ça ».
Ils ignorent que moi aussi j’ai dit ça.

Je me souviens des cris et des injures que Bègles à provoqué – vu à la télé !- ces gens, je suis heureuse de ne les comprendre jamais… Leurs cris me sont étrangers.
Je continuerai à penser que le monde est plus vaste que leurs petites - toutes petites- idées.

Je crois en l’éducation, à l’art, à la pensée – à la parole qui dit et explique…
Loin de toute vision manichéenne, loin des bons et des mauvais...

Je crois encore - sans illusion aucune - à l’humanité

Lâcher prise, lâcher prise et arrêter de se torturer
Le monde sera tout ce que j’en ferai, tout ce que je serai.
Comme une bouffée d’air frais.
C’est le chemin qui s’ouvre sur mes pas …

Et si je pleure à cet instant de ma vie, c’est de joie…


Nous n’aurons de bonheur qu’à proportion du désespoir que nous serons capables de traverser.
La sagesse est cela même : le bonheur désespérément ».

A. Comte-Sponville


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